Avocat au Barreau de SAINT-GAUDENS
Pourparlers, contrat, convention : qui dit flou, dit loup

Pourparlers, contrat, convention : qui dit flou, dit loup

Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le : 28/08/2023 28 août août 08 2023

S’il n’est pas inexact de dire que « l’acceptation de l’offre vaut vente », il faut tout de même très sérieusement tempérer cette affirmation qui relève bien davantage de la formule que de la révélation impérieuse. Rien de surprenant à dire que tout est affaire de consentement. De consentement éclairé. Éclairé sur les éléments essentiels à la relation contractuelle : la chose et le prix.

Et cette relation contractuelle, elle connaît un avant, celui des pourparlers, et un après, le contrat proprement dit, ou sa version sophistiquée, la convention. 

Or, il est aisé de comprendre que pour qu’une acceptation forme un engagement, faut-il qu’elle corresponde à une offre donnée, qui peut être fragmentée entre ces trois versions d’un même accord.

Acceptation du principe, acceptation de l’obligation, acceptation des modalités de l’obligation.

Somme toute, exposé de la sorte, le mécanisme n’a pas l’air bien sorcier. Ce n’est qu’une déclinaison parmi d’autres du consentement éclairé, autrement dit de l’exacte correspondance entre ce qui est proposé et ce qui est accepté. 

Et pourtant, un arrêt récent de la Cour de Cassation, en date du 11 mai dernier, n°22-11.287, a été contraint d’y revenir. 

Voyons plutôt :

« 8. La cour d'appel a relevé que la lettre d'intention d'achat stipulait qu'en cas d'acceptation de l'offre, un acte sous seing privé serait établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l'ensemble des conditions suspensives particulières.

9. Elle a retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du document du 9 décembre 2014, que son ambiguïté rendait nécessaire, que l'existence de la vente était subordonnée à la rédaction d'un acte sous seing privé.

10. Elle en a exactement déduit que l'acceptation, par Mmes [R] et [W], d'une offre d'achat pour le prix de 424 000 euros, qui était imprécise, ne constituait pas un contrat de vente parfait, mais relevait de pourparlers contractuels.

11. Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que M. [O] ne s'était pas présenté aux deux rendez-vous de signature de l'acte prévus dans la lettre d'intention d'achat, qu'il ne s'était pas manifesté auprès du notaire ou de Mmes [R] et [W] pour rédiger un acte notarié et qu'il ne contestait pas avoir informé l'agence immobilière qu'il souhaitait faire une nouvelle offre pour le prix de 370 000 euros, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la caducité de l'acceptation de l'offre, que Mmes [R] et [W] n'avaient pas commis de faute en remettant le bien en vente six mois plus tard et que la demande en paiement de dommages et intérêts de M. [O] devait être rejetée. »

Donc, on a quelqu’un qui se porte volontaire pour accepter les termes d’une lettre d’intention d’achat, mais, tout en essayant de la renégocier et en ignorant les rendez-vous prévus pour établir les conditions de l’engagement, ainsi qu’il en avait toujours été question dans cette lettre, s’en est allé saisir le bon juge en dommages et intérêts lorsqu’il a appris que les vendeurs avaient remis le bien en vente.

Il y a quelque chose de bien curieux dans tout ceci : comment a-t-on pu penser que le contrat était ferme et définitif dans de telles circonstances ?

Une nouvelle fois, si on est allé jusqu’en Cassation, c’est qu’il devait y avoir des arguments. 

[…]
que si ladite lettre comportait aussi la mention selon laquelle la « vente si elle intervient aura lieux (sic) aux conditions ordinaires et de droit. En cas d'acceptation de la présente offre, un acte sous seing privé sera établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l'ensemble des conditions suspensives particulières », il ressortait des termes clairs et précis de cette même lettre et, particulièrement, des mentions manuscrites des parties, que ces dernières n'avaient pas subordonné la formation de la vente à l'établissement d'un acte sous seing privé, et qu'un tel acte n'était envisagé que pour préciser de simples modalités de la vente et d'éventuelles conditions suspensives ; qu'en estimant qu'il résultait de la dernière mention précitée que la vente n'était pas encore formée à la date du 9 décembre 2014 et qu'elle devait être « consacrée » par un acte sous seing privé, la cour d'appel, qui a méconnu les termes clairs et précis de la lettre précitée, a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; »

Là, le récit n’est pas tout à fait le même. Comme quoi, il ne faut pas se content de lire l’attendu de principe.

S’il était question d’un renvoi à de seules modalités pratiques et à des conditions éventuelles, l’acceptation du principe en tant que tel demeurait intact. 

C’est le propre des contrats solennels, dont la loi exige qu’ils soient établis selon une certaine forme, mais cette dernière n’est que la conséquence de l’acceptation de l’offre dans un domaine particulier. Ici, c’était le cas, puisqu’il était question de la vente d’un immeuble, supposant l’établissement d’un acte authentique. 

D’où une action en paiement d’une perte de chance évaluée à la somme de 1. 435 845 euros. Le pourvoi se comprend beaucoup mieux dès lors.

Comme souvent, on y voit plus clair en se rapportant à l’arrêt d’appel ainsi validé par la Cour de Cassation :

« La lettre d'intention d'achat du 9 décembre 2014 stipule que la vente, si elle intervient, aura lieu aux conditions ordinaires et de droit et qu'en cas d'acceptation de la présente offre, un acte sous seing privé sera établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l'ensemble des conditions suspensives particulières.

Il résulte de cette mention que la vente n'était pas encore intervenue et qu'elle devait être consacrée par un acte sous seing privé et que l'acceptation par Madame A Y épouse E et Madame B D de l'offre formulée par Monsieur X Z pour une vente au prix de 424'000 €, commission d'agence comprise, ne peut constituer un contrat de vente parfait, au sens de l'article 1101 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, applicable au présent litige. »

Le nœud paraît être ici : la seule mention de renvoi à ces modalités et conditions en vient à cloisonner l’offre dans un processus donné.

L’enjeu derrière, c’est de savoir si cette décision abime la cristallisation des consentements. 

Pourtant, il y a fort à parier que si la lettre d’intention n’avait pas fait apparaître ce qui relève peut-être davantage de la formule de style que de la réelle volonté conventionnelle, l’engagement aurait été amené à être respecté, ou à tout le moins, indemnité aurait été versée.

Reste à savoir si cette formule aménage ainsi une sorte d’option dans les mains des vendeurs ?

C’est possible, mais il serait imprudent de tirer un enseignement général d’une affaire fondamentalement casuistique. Le comportement de l’acheteur, longuement exposé, vient assurément au renfort d’une interprétation en faveur des vendeurs. 

En tout état de cause, cette mention et ce comportement ont suffi à semer le flou, et là où il y a le flou… vous avez lu le titre.


Cet article n'engage que son auteur.

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